Une première lecture de la politique thaïlandaise pour l’année 2011 donne l’impression d’un pays rentré dans un ordre démocratique acceptable. Pourtant nous avons assisté à une victoire par défaut d’un parti pro-Thaksin. Le choix pour les provinces rouges n’était pas possible.

Les démocrates, ces « privilégiés libéraux » représentant l’élite et le Sud

Comment voter pour les démocrates, ces « privilégiés libéraux » représentant l’élite et le Sud ? Comment voter pour le Bhumichathai qui a trahi Thaksin pour permettre à Abhisit de prendre les commandes ?  Il ne restait donc que Phuea Thai pour le « peuple » (les pauvres, les « rouges », les paysans, un peu tout ce qu’on veut et qui n’est pas de la Plaine centrale sous les ordres directs des parrains). En votant pour Yinkluck, on faisait plaisir aux parrains de la politique et au passage on peut espérer récolter quelques bénéfices si l’on veut bien croire à quelques-unes de ses propositions populistes, comme ce fut le cas en 2001 lorsque Thaksin accéda au pouvoir.

Les politiciens n’ont pas bien mesuré la frustration engendrée par la répression

Tout s’est joué en trois semaines. Le Parti démocrate et ses alliés contre-nature (la clique de Newin Chidchob) devaient respecter leur promesse de laisser le peuple choisir pour ne pas paraître accaparer un pouvoir qu’ils ont obtenu de manière douteuse et peu démocratique en 2006.

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Les politiciens n’ont pas bien mesuré la frustration engendrée par la répression, la colère de ceux qui ont voulu faire de la politique autrement, les oubliés du développement qui voulaient comprendre leur place au sein de la nation. En interrompant le dialogue, ils se sont coupés d’une base et sont revenus à celle qui les soutient depuis longtemps, la classe moyenne bourgeoise et citadine à laquelle s’ajoutent les provinces du Sud.

la campagne d’Abhisit un modèle de mauvaise représentation

En chiffres, cela ne suffisait pas à faire gagner les élections car le gros des voix est apportée par le Nord-Est. Les efforts pour démocratiser leur image ont été un échec, la campagne d’Abhisit un modèle de mauvaise représentation. Même si ce dernier semble un homme intègre, son image de privilégié ne l’a pas quitté et il n’avait aucune crédibilité dans le milieu paysan. Alors se sont engouffrés dans la brèche avec une facilité évidente ceux qui s’opposent à ce modèle bourgeois opprimant des « masses laborieuses ». Personne n’était dupe. La Thaïlande est revenue au temps des achats de voix en masse, des règlements de compte et de la raison du plus fort, des valeurs que les Thaïlandais ont toujours respectées. Donner son vote à un puissant, c’est assurer sa protection.

Le coup de génie de Yingluck

Cependant Yingluck a su faire preuve d’un instinct politique éphémère mais très sûr. Les « rouges » militants et emprisonnés, récemment libérés de prison, ont demandé une récompense pour leur « sacrifice » et ont été intégrés dans les rangs du Phuea Thai. Ces hommes ont choisi de se vendre dans le camp qui était censé les représenter. C’est ici qu’une rupture apparaît puisque ce parti ne représente pas vraiment le mouvement rouge dans son ensemble. Les caciques ont été réticents à accepter ces troublions, mais il fallait bien les prendre car ils représentaient la base électorale légitime qui s’était battue et dont le parti avait arraché la parole pour en faire ses slogans politiques.

Les politiciens n’ont pas bien mesuré la frustration engendrée par la répression, la colère de ceux qui ont voulu faire de la politique autrement

Le coup de génie de Yingluck a été de dire qu’il n’était pas question d’accepter quelques leaders rouges mais de faire une large place à ceux qui avaient été présents dans le mouvement. Elle a ouvert à « ses frères rouges » les portes du pouvoir, en bousculant les ténors du parti les imposant en grand nombre sur les listes électorales. Elle remporta les élections en ouvrant largement les portes de son parti.

Les places des uns et des autres, c’est-à-dire la place des rouges par rapport aux caciques se réglera plus tard avec la marginalisation des élus du Nord-Est. Elle a en outre su valoriser une image de femme providentielle et à l’écoute du peuple.

Cet article est extrait du chapitre sur la Thaïlande (les intertitres sont de la rédaction de thailande-fr.com) paru dans L’Asie du Sud-Est 2012, sous la direction de Jérémy Jammes et Benoît de Tréglodé Paris-Bangkok, Les Indes savantes-Irasec, 2012, 390 pages.

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Commentaire de l’éditeur

Chaque année l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine (Irasec), basé à Bangkok, analyse les principaux événements politiques, économiques, sociaux, environnementaux ou religieux survenus dans l’ensemble du sous-continent asiatique.

Établissant une rétrospective des principaux événements de l’année 2011, ce livre aide à mieux comprendre les grands enjeux de l’année 2012 dans une région de près de 600 millions d’habitants qui, plus que jamais, joue un rôle d’interface entre les grands pôles asiatiques. Grâce au travail de terrain tout au long de l’année d’une vingtaine de chercheurs et d’experts européens et asiatiques, Asie du Sud-Est 2012 offre un décryptage d’une actualité asiatique complexe, dense et dynamique.

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