En adoptant des designs rappelant ceux des jouets, les fabricants de cigarettes électroniques ciblent désormais les écoliers thaïlandais comme un nouveau marché. Cette tendance, qui pousse les enfants à commencer à fumer de plus en plus tôt, alarme profondément les autorités.
Un lobby des cigarettes électroniques visant un public de plus en plus jeune
Malgré l’interdiction des cigarettes électroniques en Thaïlande, une addiction de plus en plus précoce se développe chez les jeunes du pays.
Selon une étude conduite auprès de 6700 élèves, si en 2015 seulement 3,3% des écoliers avouaient vapoter régulièrement, ce chiffre a grimpé à 8,1% en 2021 pour finalement atteindre 17,6% en 2022. Prakit Vathesatogkit, président de l’Action on Smoking and Health Foundation, a récemment ajouté qu’aujourd’hui, ce chiffre pourrait même avoisiner les 30%.
Cette multiplication par 5 du nombre de 13-15 ans qui disent utiliser des e-cigarettes révèle un réel problème qui alarme le gouvernement : pour qu’ils restent clients à vie, les fabricants de “vape” fidélisent les enfants toujours plus jeunes, et il semble qu’ils aient trouvé comment attirer cette nouvelle clientèle.
En effet, depuis quelques années, des designs enfantins et ludiques s’ajoutent aux odeurs agréables et fruitées des cigarettes électroniques, les rendant amusantes et faisant oublier leur aspect néfaste pour la santé.
Prenant désormais la forme de briques de lait ou de figurines cartoon, les e-cigarettes sont faciles à confondre avec un jouet lambda. Plusieurs cas ont d’ailleurs été recensés où des élèves ne savaient pas que l’objet qu’ils avaient dans leur cartable était une cigarette.
Les fumeurs les plus jeunes commencent dès leurs 6 ans, et selon un sondage, 43% d’écoliers entre 9 et 12 ans ont déjà essayé la cigarette électronique. Des enseignants ont également observé de véritables business se former, avec des élèves de 10 ans vendant des e-cigarettes à leurs pairs pour quelques bahts.
Le numérique, eldorado des commerçants illégaux
Le gouvernement tente d’endiguer ce phénomène et de faire appliquer la loi en déployant des moyens pour faire arrêter les vendeurs d’e-cigarettes, en mettant la priorité sur les zones scolaires, où plusieurs arrestations pour contrebande ont déjà eu lieu.
Mais à l’ère digitale, cela ne semble plus suffire. C’est effectivement en ligne que les adolescents se familiarisent avec le produit. Entre les publicités qui mettent en avant les bénéfices du vapotage sur la côte de popularité et la facilité avec laquelle il est possible de se procurer des cigarettes, difficile de ne pas se laisser tenter. Une étude conduite sur les réseaux sociaux a démontré à quel point il était aisé d’acheter une vape, citant Facebook, Line, et Instagram comme principaux canaux de diffusion.
La cigarette électronique, un “moindre mal” ?
Si les e-cigarettes sont si populaires, c’est en partie parce que la prise de conscience des dangers qu’elles occasionnent est faible. La croyance qu’elles sont moins nocives que les cigarettes traditionnelles est pourtant fausse : si elles ne contiennent pas de tabac, le liquide synthétique et les odeurs qui les composent peuvent mener à des niveaux de nicotine extrêmement élevés et dangereux pour la santé.
Les parents manquent souvent de sensibilisation, pensant que les cigarettes électroniques sont moins nocives que les cigarettes traditionnelles, ce qui les rend moins stricts quant à leur interdiction.
Un sondage effectué dans une école primaire du centre de la Thaïlande a révélé que 15% des enfants entre 9 et 10 ans avaient déjà été encouragés à vapoter par des membres de leur famille. Une autre étude a même démontré qu’environ 73% des mineurs ayant déjà fumé la cigarette électronique l’avaient obtenue par le biais de leur entourage proche.
De plus, les e-cigarettes ont encore la réputation d’être un outil précieux pour aider à arrêter de fumer, et c’est cela qui engendre leur dédiabolisation. Pourtant, dans le cas de très jeunes enfants qui n’ont encore jamais commencé, elle a plutôt l’effet inverse et joue en réalité le rôle de porte d’entrée vers la dépendance. Prendre tôt l’habitude de fumer banalise le geste et, sur le long terme, a tendance à mener au tabagisme ou à la drogue.
L’étude australienne Generation Vape a ainsi conclu en 2023 que les adolescents âgés de 12 à 17 ans ayant déjà vapoté étaient cinq fois plus susceptibles de se tourner vers les cigarettes par la suite. Cette enquête a également établi la corrélation entre l’âge et l’addiction, montrant que plus une personne commence à vapoter jeune, plus le risque qu’elle se mette à fumer adulte est élevé.
Les cigarettes électroniques entraînent de nombreuses conséquences sur la santé des jeunes Thaïlandais : outre l’addiction et les problèmes pulmonaires, leurs effets sur le cerveau augmentent également par cinq le risque de dépression, d’irritabilité et de troubles de concentration en classe.
Face à l’ampleur du phénomène, les autorités réagissent fermement
Le 25 février 2025, une réunion du Bangkok Narcotics Suppression and Prevention Operations Centre a eu lieu à la mairie de Bangkok. Au sujet des cigarettes électroniques, plusieurs mesures ont été prises, visant toutes l’objectif d’avoir, à terme, des “zones garanties sans fumée” aux abords de toutes les écoles de la ville.
Pour ce faire, la priorité est d’éliminer toutes les ventes clandestines prenant place dans les lieux scolaires ou aux alentours. Des patrouilles seront menées par la police de Bangkok afin d’assurer un environnement sain aux écoliers, pour que leur santé et leur apprentissage ne soient pas entravés par des substances addictives et nocives.
Les autorités, conscientes que le Web joue un rôle central dans ce phénomène, prévoient également de déployer des campagnes anti-vapotage d’envergure sur les réseaux sociaux.
En janvier 2025, le Ministère de l’Éducation a proposé une réglementation interdisant aux élèves l’usage des cigarettes électroniques, qui a été adoptée. Les élèves surpris à en utiliser recevront d’abord un avertissement, puis une réduction de leurs notes de comportement si aucun changement n’est constaté. En 2024, déjà, l’OBEC (Office of the Basic Education Commission) imposait des mesures strictes, prévoyant notamment des fouilles des affaires personnelles des écoliers.
Les autorités de Bangkok prennent le problème très au sérieux. Cependant, dans les autres provinces, il semble que l’application de la loi soit moins sévère.
Et si la solution était la légalisation ?
Pour certains fumeurs, légaliser les cigarettes électroniques serait un pas vers la solution d’un problème qui prend une grande ampleur. Selon eux, une législation claire permettrait de réguler les produits contenus dans les e-cigarettes. Puisque dans tous les cas, la demande sur marché noir augmente, réglementer la consommation rendrait l’usage de ces cigarettes potentiellement moins nocif.
D’autres acteurs, tels que Prakit Vathesatogkit, président de l’Action on Smoking and Health Foundation, voient les choses bien différemment. Il cite l’exemple des Philippines, qui ont légalisé les e-cigarettes en 2022, et qui, par la suite, ont vu le nombre de fumeurs augmenter.
L’argument de la pression du groupe et de la reconnaissance sociale est également ressorti : plus de régulation ne ferait qu’accroître l’attrait du produit chez les jeunes, qui sont parfois justement attirés par son aspect “dangereux” et “illégal”.