Dans les rues animées de Bangkok, les affiches électorales de Paetongtarn Shinawatra, fille de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, côtoient encore les étals des marchands.

Cette image, apparemment anodine, symbolise pourtant un phénomène profondément ancré dans la politique sud-est asiatique : la persistance des dynasties politiques. De la Thaïlande aux Philippines, en passant par l’Indonésie, l’histoire politique de la région s’écrit comme une saga familiale où le pouvoir se transmet de génération en génération, tel un héritage précieusement gardé.

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Paetongtarn Shinawatra, fille de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra

L’arrivée au pouvoir de Paetongtarn Shinawatra en août 2024, à seulement 37 ans, n’est que le dernier chapitre d’une histoire régionale plus vaste. Cette nomination résonne comme un écho familier dans une région où les noms de famille pèsent souvent plus lourd que les programmes politiques.

La Dynastie Shinawatra en Thaïlande

La famille Shinawatra a été une force dominante en Thaïlande depuis les années 2000. Thaksin Shinawatra, homme d’affaires devenu politicien, a été Premier ministre de 2001 à 2006 avant d’être renversé par un coup d’État militaire.

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La Première ministre Yingluck Shinawatra annonce le maintien de la date des élections pour le 2 février. Photo : https://www.facebook.com/Y.Shinawatra

Sa sœur, Yingluck Shinawatra, a suivi ses traces et est devenue la première femme Premier ministre de Thaïlande en 2011. Malgré leur popularité, les deux ont été accusés de corruption et ont été chassés du pouvoir. La famille continue d’exercer une influence importante en politique thaïlandaise à travers leurs partisans et leurs liens étroits avec les milieux des affaires..

Les Shinawatra en Thaïlande, les Marcos aux Philippines, les héritiers de Suharto en Indonésie : autant de familles qui ont transformé la politique en entreprise familiale, perpétuant un système où le pouvoir se transmet comme un patrimoine.

La Dynastie Marcos aux Philippines

La dynastie Marcos est une force politique majeure aux Philippines depuis des décennies. Ferdinand Marcos Sr. a dirigé le pays de 1965 à 1986, période marquée par la loi martiale, la répression et la corruption. Après sa chute, la famille a réussi à revenir sur la scène politique. Ferdinand « Bongbong » Marcos Jr., fils de l’ancien dictateur, a été élu président en 2022, marquant le retour en grâce de la dynastie.

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“Bongbong” Marcos, fils de l’ancien dictateur philippin Ferdinand Marcos

Dans les salons feutrés de Manille, le retour triomphal de Ferdinand « Bongbong » Marcos Jr. à la présidence des Philippines illustre parfaitement cette résilience dynastique. Trente-six ans après la chute de son père, chassé par une révolution populaire, le fils est parvenu à réécrire l’histoire familiale, transformant la disgrâce en renaissance politique.

Un tour de force qui démontre la capacité de ces dynasties à se réinventer, à s’adapter aux évolutions de leur société tout en maintenant leur mainmise sur les leviers du pouvoir.

Cette persistance des dynasties politiques n’est pas le fruit du hasard. Elle s’enracine dans un terreau fertile, mêlant traditions féodales et réalités économiques modernes. Dans ces sociétés où les relations personnelles priment souvent sur les institutions, les familles politiques ont su tisser des réseaux d’influence tentaculaires. Elles contrôlent non seulement les rouages politiques mais aussi les ressources économiques, créant un système d’interdépendances qui renforce leur pouvoir.

Le phénomène est particulièrement frappant aux Philippines, où une étude récente de l’Ateneo School of Government révèle une augmentation inquiétante des « dynasties grasses ». Ces familles, qui accumulent positions politiques et richesses économiques ont grossi leur positions dans la politique de manière notable. Une concentration du pouvoir qui pose question dans un pays qui se veut démocratique.

Graphique montrant la part de politiciens Philippins appartenant à des grandes “dynasties” politiques.  par Ateneo School of Government, Manilla University AD 4nXc3Ct2qx2RLXXyQFBOUE5BPSoRMsA19VhvR4s7svfAe AgSbkPSo74boQ3TZEeA1 CEsBkf0zbW6KMs - thailande-fr

La Dynastie Suharto en Indonesie

L’Indonésie n’échappe pas à cette règle. L’héritage de Suharto continue de peser sur la vie politique et économique du pays. Ses enfants, enrichis par des décennies de privilèges et de monopoles, incarnent cette fusion entre pouvoir politique et puissance économique. Une situation qui illustre comment ces dynasties parviennent à maintenir leur influence bien au-delà de leur période de gouvernance directe.

La dynastie Suharto a marqué l’histoire de l’Indonésie de manière indélébile. Le général Suharto a pris le pouvoir en 1965 après un coup d’État militaire, mettant fin à la fragile démocratie indonésienne de l’époque. Son régime autoritaire a duré plus de trois décennies, caractérisé par une répression politique intense et une absence totale de liberté d’expression.

Les tentatives de réforme se heurtent systématiquement à un mur. Comment réformer un système quand ceux qui devraient voter les changements sont précisément ceux qui bénéficient du statu quo ? Aux Philippines, avec une prédominance du corps législatif issu de dynasties politiques, l’espoir d’une réforme profonde semble illusoire. En Thaïlande, la récente dissolution du parti Move Forward, qui portait un projet de réforme ambitieux, illustre la capacité du système à se protéger.

Cette réalité pose des questions fondamentales sur l’avenir démocratique de la région. Les sociétés sud-est asiatiques semblent prisonnières d’un paradoxe : elles aspirent à la modernité politique tout en restant profondément attachées à des structures de pouvoir traditionnelles. Les dynasties politiques ont su exploiter cette ambivalence, se présentant comme les garantes d’une stabilité rassurante tout en adoptant les codes de la modernité.

La Dynastie Hun au Cambodge

La dynastie Hun a marqué la politique cambodgienne pendant des décennies. Hun Sen, ancien Khmer rouge, a pris le pouvoir en 1985 et a dirigé le pays pendant 38 ans. En 2023, il a transmis le pouvoir à son fils aîné, Hun Manet. Hun Manet, éduqué à l’occidentale et diplômé de l’académie militaire de West Point, a été désigné comme successeur par le Parti du peuple cambodgien (PPC).

La transition de pouvoir au Cambodge est souvent perçue comme une continuité de la dynastie Hun, avec Hun Manet prenant la relève de son père. Cette dynastie a su maintenir son influence en contrôlant les institutions et en éliminant les oppositions politique

Les racines historiques de ces dynasties politiques remontent à l’ère coloniale et continuent d’influencer la politique contemporaine de la région. Des études historiques, comme celle publiée dans le « Journal of Comparative Studies in Society and History », soulignent que les élites politiques actuelles sont souvent les héritières des familles qui ont su se positionner comme intermédiaires entre les colonisateurs et la population locale. Cette position privilégiée leur a permis de consolider leur pouvoir et leur influence, créant ainsi les fondations des dynasties que nous observons aujourd’hui.

Ce phénomène n’est pas unique à l’Asie du Sud-Est, mais il y prend une ampleur particulière. Comme le note une analyse publiée dans les « Sage Journals », ces dynasties politiques ont su s’adapter aux changements post-coloniaux, en transformant leur capital social et économique en pouvoir politique durable. Cette résilience s’explique en partie par la persistance de structures sociales traditionnelles et par la capacité de ces familles à maintenir des réseaux d’influence étendus.

Alors que l’Asie du Sud-Est s’affirme comme une région économiquement dynamique et géopolitiquement stratégique, la persistance de ces dynasties politiques pose question. Peuvent-elles réellement répondre aux défis du XXIe siècle ? La démocratie dans la région parviendra-t-elle à s’émanciper de ces structures familiales ? L’avenir nous le dira, mais une chose est certaine : les dynasties politiques sud-est asiatiques ont encore de beaux jours devant elles, pour le meilleur ou pour le pire.

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