En Thaïlande, où près de 600 000 personnes vivent sans nationalité, un nouvel espoir émerge. Le gouvernement a récemment annoncé une réforme majeure : une législation inédite qui facilitera l’accès au statut de résident permanent, et potentiellement à la citoyenneté, pour 484 000 d’entre elles.

Chaque jour, des milliers de personnes en Thaïlande – et des millions dans le monde – vivent dans l’ombre de la société, privées des droits les plus élémentaires. Sans papiers, sans patrie, sans nationalité, elles ne peuvent ni travailler légalement, ni ouvrir un compte en banque, ni même envoyer leurs enfants à l’école. Invisibles pour l’administration, elles le sont aussi souvent pour leurs voisins. 

Cette initiative ambitieuse marque un tournant dans la reconnaissance de ces vies longtemps effacées et pourrait inspirer d’autres nations à suivre le pas. 

L’apatridie : État de fait d’un phénomène mondial

L’apatridie est une réalité pour de nombreuses personnes à travers le monde. Invisibles aux yeux de leur État de résidence, ces femmes, ces hommes et ces enfants dépourvus d’une nationalité reconnue et d’une identité propre n’ont pas accès aux droits fondamentaux. Marginalisés par leur statut, ils se retrouvent sans protection sociale ou juridique, exclus des services de base tels que l’accès à un emploi formel, la possibilité de voyager ou même de louer un logement.

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) recense officiellement aujourd’hui près de 4,3 millions d’apatrides dans le monde. Selon les Nations Unies, ce chiffre serait en réalité bien en deçà de la réalité. 

Les causes en sont multiples ; souvent victimes de discriminations fondées sur le genre, l’appartenance à un groupe ethnique, religieux ou plus largement, à une minorité, l’apatridie trouve aussi ses origines dans les déplacements de population lors de conflits ou le manque d’accès à l’administration. 

L’apatridie en Thaïlande : une réalité persistante au sein des minorités ethniques.

Plus de la moitié de la population mondiale de personnes apatrides réside en Asie, et le phénomène semble s’accentuer au fil des années. 

En Thaïlande, en 2023, le ministère de l’Intérieur enregistre 592 340 personnes apatrides, parmi lesquelles 169 241 sont des enfants. La quasi-totalité est issue de minorités ethniques. Qu’ils soient issus de migrations depuis les pays voisins comme les Moken, groupe de nomades de la mer issus du sud de la Chine, ou descendants de tribus montagnardes thaïlandaises comme les Akha, Lahu, Hmong ou Lisu, ces personnes ne sont toujours pas reconnues comme citoyens thaïlandais, malgré le fait que beaucoup soient nés sur le territoire.

La Thaïlande n’appliquant pas le droit du sol (jus soli), l’accès à la citoyenneté, qui repose sur la connaissance et la maîtrise des procédures de naturalisation complexes et bureaucratiques, est rendu particulièrement difficile par les situations de marginalisation et d’éloignement. 

Le fait d’être enregistré par le gouvernement donne un certain accès à l’éducation, à l’emploi et aux soins de santé. Il ne confère pas les mêmes droits que la citoyenneté, mais c’est un premier pas vers l’obtention d’une identité légale. 

Une “avancée historique” pour mettre fin à l’apatridie 

Le 29 octobre 2024, le Gouvernement Royal de Thaïlande a approuvé une mesure visant à accélérer et faciliter le processus de demande de résidence permanente pour 335 000 personnes apatrides éligibles et d’obtention de citoyenneté pour 142 000 de leurs enfants. Ceux à qui la résidence permanente a été accordée pourront demander à obtenir la nationalité après cinq ans. La disposition concerne donc 484 000 des près de 600 000 personnes apatrides enregistrées en Thaïlande.

Cette décision allant dans le sens d’une réduction de la population apatride globale a été saluée et qualifiée d’”avancée historique” par Hai Kyung Jun, Directrice de Bureau pour l’Asie et le Pacifique du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR).

Les candidats devront prouver leur loyauté envers la Thaïlande, démontrer qu’ils ne sont affiliés à aucun autre pays et qu’ils ont un casier judiciaire vierge. Les personnes qui obtiendront la résidence permanente ou la nationalité auront la possibilité de voyager en Thaïlande à la recherche d’opportunités, notamment professionnelles. 

L’engagement thaïlandais 

L’ampleur de la mesure est inédite. Tamni Sharpe, représentante du HCR en Thaïlande, a déclaré qu’il s’agissait de “la réduction la plus spectaculaire de l’apatridie que le monde ait jamais connue”.

La Thaïlande s’affirme comme leader sur la question des populations apatrides et continue dans sa lancée soutenue par le HCR qui fournit du soutien financier et une expertise technique. Le pays s’était engagé au Forum mondial sur les réfugiés de 2023, à résoudre le problème en mettant la priorité sur les enfants et faisait également partie des membres fondateurs de l’Alliance globale pour mettre fin à l’apatridie lancée le 15 octobre dernier à Genève.

La Thaïlande avait aussi participé à la campagne “Get Every One in the Picture” de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) cherchant  à favoriser l’enregistrement  d’état  civil durant la décennie 2015-2024 dans la région.

Après avoir accordé la nationalité thaïlandaise à plus de 100 000 apatrides entre 2008 et 2022, les travaux d’enregistrement se poursuivent. 

La reconnaissance d’un peuple : les Moken

Peuple nomade marin évoluant dans l’archipel des Mergui et installé dans les îles thaïlandaises, les Moken n’ont été officiellement reconnus comme minorité ethnique qu’en 2004, après avoir été frappés par le tsunami de l’océan Indien.

Alors qu’ils vivent en Thaïlande, beaucoup n’ont jamais enregistré leurs identités auprès du gouvernement. À la fin du mois d’octobre 2024, avec l’aide du HCR, les ministères de l’Intérieur et de la Justice thaïlandais ont mis en place un service mobile d’enregistrement des identités sur l’île de Phayam où résident des Moken. Cette première étape vise à les accompagner vers un statut de résident permanent. Ce dispositif illustre une avancée significative dans le traitement des personnes apatrides en Thaïlande, marquant un tournant pour les Moken, à qui la citoyenneté était autrefois systématiquement refusée.

L’annonce par la Thaïlande de cette mesure marque une étape cruciale dans la reconnaissance  des droits des populations apatrides. Sa mise en œuvre nécessitera un engagement significatif en ressources humaines et financières sur le terrain. Si ces efforts permettent effectivement à ces individus d’accéder pleinement à la citoyenneté, la Thaïlande ouvrira la voie à un avenir où des centaines de milliers de résidents pourront accéder aux droits fondamentaux, obtenir une nationalité et trouver une identité reconnue. Cette mesure témoigne de l’engagement de la Thaïlande envers ses habitants marginalisés, mais aussi de sa volonté de se placer en moteur de la lutte contre l’apatridie. 

Sources : 

‘Historic development’ in Thailand as it moves to end statelessness for nearly 500,000 people | UN News

Breaking the Silence on Statelessness | UNICEF Thailand

https://www.unhcr.org/asia/news/press-releases/unhcr-commends-thai-cabinets-landmark-resolution-end-statelessness

Les organisations de la société civile thaïlandaise s’efforcent de mettre fin à l’apatridie | HCR

https://www.unhcr.org/fr/actualites/communiques-de-presse/la-thailande-prend-des-mesures-importantes-pour-mettre-fin

UNHCR commends Cabinet’s ‘historic’ resolution to end statelessness

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