Ils sont jeunes, de plus en plus nombreux et déterminés, et ils n’ont pas peur d’affronter le pouvoir ou d’aborder des sujets tabous comme le rôle de la monarchie en Thaïlande.
Des manifestations pro-démocratie menées par des jeunes ont eut lieu en Thaïlande ces dernière semaines presque tous les jours dans plusieurs provinces du royaume, appelant à de vastes réformes démocratiques.
Des rassemblements se sont déroulés dans au moins 55 des 76 provinces depuis la mi-juillet, la plupart organisés par des étudiants dans des universités ou des lieux publics.
La plus importante s’est déroulé à Bangkok : environ 20 000 personnes se sont rassemblées dimanche 16 août au Monument de la Démocratie dans le centre administratif de Bangkok, le plus grand rassemblement de l’opposition depuis le coup d’État en 2014.
Certains manifestants n’ont pas eu peur d’aborder publiquement un sujet tabou de longue date en Thaïlande : le rôle de la monarchie.
La monarchie est protégée par une loi draconienne sur la diffamation, dite de lèse majesté, passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison.
Quelles sont les revendications des manifestants?
Lors du rassemblement du dimanche 16 août, l’organisation Free People a présenté trois revendications principales: la dissolution des deux chambres du parlement, la réécriture de certaines parties litigieuses de la constitution et la fin du harcèlement policier qui empêche les gens d’exercer leurs droits fondamentaux.
Le ton de ces demandes était moins radical que celui des 10 propositions de réforme de la monarchie qui ont été lues par un porte-parole d’un autre groupe de manifestants, l’Union des étudiants de Thaïlande, le 10 août à l’Université Thammasat.
Mais le message sous-jacent est le même: permettre à la Thaïlande de passer à une forme démocratique de gouvernement, avec une véritable monarchie constitutionnelle dont le rôle serait plus clairement encadré et limité.
Qu’est-ce qui a poussé les étudiants à descendre dans la rue?
Depuis les élections générales de mars 2019, qui ont marqué le retour de la Thaïlande dans le camp des démocraties, beaucoup de jeunes se sont sentis dépossédés de leur vote
Plus de 7,3 millions d’électeurs de moins de 25 ans ont pris part à cette élection, pour beaucoup c’était leur première occasion d’exercer leur droit de vote.
Ceux qui participent en ce moment aux mouvements pro-démocratie ont probablement voté pour Future Forward, un parti fondé en 2018 par le charismatique milliardaire de 41 ans, Thanathorn Juangroongruangkit.
La promesse du parti Future Forward de réformer la constitution, de réduire le budget militaire, de supprimer la conscription et de placer l’armée sous contrôle civil avait séduit bon nombre de jeunes électeurs.
Le parti Future Forward avait obtenu 6,3 millions de voix, soit 17,8% des voix, et 81 des 500 sièges de la chambre basse aux élections de mars 2019.
Mais à peine un an plus tard en février 2020, un tribunal a ordonné la dissolution de Future Forward pour avoir accepté un prêt de son fondateur Thanathorn.
Les jeunes Thaïlandais ont perçu cette dissolution, non pas comme une décision de justice, mais comme une manœuvre politique destinée à les écarter de la vie politique.
La confiance dans le système judiciaire du pays s’est encore détériorée en juillet, lorsqu’on a appris qu’une affaire de délit de fuite contre Vorayuth Yoovidhya, le petit-fils du milliardaire co-fondateur de Red Bull, Chaleo Yoovidhya, avait été discrètement classée sans suite par le bureau du procureur général.
En quoi ces manifestations sont-elles différentes de celles qui ont eut lieu auparavant?
L’histoire de la Thaïlande est riche de manifestations, contre- manifestations, surtout au cours de la décennie qui a précédé le coup d’État de 2014.
Les principaux protagonistes de ces manifestations appartenaient à des courants bien définis: les Chemises rouges étaient des partisans de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra majoritairement issus des population rurales défavorisées, tandis que les Chemises jaunes concentrées à Bangkok et étaient considérées comme représentant des élites urbaines et monarchistes.
Mais les étudiants qui dirigent les rassemblements actuels sont pour la plupart issus de familles de la classe moyenne, éduqués à l’âge de l’Internet avec un accès plus large à l’information.
Ils ne se reconnaissent pas dans le régime actuel, dont le caractère démocratique reste sujet à caution, et se demandent pourquoi leur pays a connu 20 constitutions et 13 coups d’État réussis depuis 1932.
Ils n’ont quasiment rien en commun avec leurs prédécesseurs, et leurs affrontements en rapport avec la couleur de leurs chemises. En outre ils n’hésitent pas à aborder des sujets tabous de longue date comme le rôle de la monarchie en Thaïlande.
Facebook a récemment bloqué l’accès en Thaïlande à un groupe d’un million de membres discutant de la monarchie, après que le gouvernement thaïlandais l’a menacé de poursuites judiciaires. Lire aussi Facebook au secours de la monarchie thaïlandaise – Politique – Thailande Info
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Quand les sujets tabous ne le sont plus
Les étudiants thaïlandais ont rendu public un manifeste en 10 points qui comporte notamment des propositions pour réformer la monarchie : un sujet hautement sensible en Thaïlande.
Les propositions comprennent l’annulation de l’article 6 de la Constitution, qui interdit toute action en justice contre le monarque, et la suppression de la loi sur la lèse-majesté qui protège le roi des critiques avec des peines allant jusqu’à 15 ans de prison.
Ils ont également exhorté le gouvernement à séparer la richesse personnelle du roi des actifs relevant du Crown Property Bureau, dont la valeur est estimée à plusieurs dizaines de milliards de dollars.
Le manifeste a également demandé au gouvernement de réduire le budget national annuel du palais en fonction des conditions économiques, ajoutant que les subventions pour la famille royale devraient prendre fin.
Les manifestants ont également appelé à des enquêtes sur les disparitions suspectes d’opposants contre la monarchie.
Un des leaders du mouvement étudiant et coauteur du manifeste en 10 points, Parit Chiwarak, a été arrêté la semaine dernière et inculpé de huit infractions, dont la sédition, une infraction qui peut être sanctionnée de sept années de prison.
Cependant, le tribunal correctionnel lui a accordé une remise en liberté sous caution à condition qu’il ne répète pas les infractions alléguées.