La liberté de la presse s’est encore détériorée en Thaïlande selon le dernier classement de RSF : le royaume recule de 4 points en 2020 par rapport à son score précédent (136e en 2020) et talonne désormais le Cambodge communiste (144e).
L’un des enseignements du Classement 2020 en Asie et en Océanie est que la liberté de la presse est potentiellement en péril quel que soit le pays.
La preuve avec l’Australie (26e), jadis cité en modèle régional, qui perd cinq places d’un coup, notamment en raison d’une double perquisition de la police fédérale, au domicile d’une journaliste et au siège de l’audiovisuel public.
Ce précédent fait désormais peser de très lourdes menaces contre le secret des sources et le journalisme d’investigation. L’événement fut d’ailleurs l’occasion, pour les Australiens, de réaliser qu’ils ne bénéficient d’absolument aucune garantie constitutionnelle concernant la liberté d’informer et d’être informés.
La chute de Singapour
Autre nouveauté de 2020 : ces quatre pays, gouvernés par des partis uniques communistes, sont rejoints dans la “zone noire” du Classement RSF par un cinquième régime passé maître en matière de contrôle absolu de l’information : Singapour.
Avec sa loi orwellienne censée combattre les “fausses informations”, la cité-État perd sept places d’une année sur l’autre(158e).
Le sultanat de Brunei (152e) a durci son arsenal de contrôle de l’information en intégrant dans son code pénal la peine de mort pour tout propos ou écrit jugé blasphématoire envers la religion musulmane.
Deux autres régimes de la région ont réussi à parfaire un peu plus leur système de répression des voix dissidentes : le Cambodge du Premier ministre Hun Sen (144e, – 1) et la Thaïlande du général Prayut (140e, – 4).
En Thaïlande, un tweet peut valoir deux ans de prison
La journaliste thaïlandaise Suchanee Cloitre en a fait l’amère expérience : dans un procès pour diffamation qui l’oppose au géant de l’agroalimentaire Thammakaset, le tribunal provincial de Lop Buri (centre de la Thaïlande) l’a reconnue coupable dans un jugement rendu mardi 24 décembre et l’a condamnée à la peine maximale prévue pour ce motif. La journaliste a annoncé qu’elle allait faire appel.
L’affaire remonte à 2016. Cette année-là, le gouvernement thaïlandais ordonne à Thammakaset de verser des compensations à 14 travailleurs migrants exploités dans des élevages de volailles. Une décision que Sucheena Cloitre, alors rattachée à la chaîne Voice TV, relaie dans un tweet.
La Corée du Nord et la Chine championnes de la censure
C’est d’autant plus alarmant que c’est en Asie que l’on trouve le pire pays du monde en la matière : après un semblant d’ouverture du régime aux journalistes étrangers en marge des sommets de juin 2018 et février 2019, qui réunissaient le président Trump et le “dirigeant suprême” Kim Jong-un, la Corée du Nord (180e, -1) a retrouvé la dernière place du Classement en 2020.
Dans la course à la répression, elle est toujours talonnée de près par la Chine (177e), qui ne cesse de parfaire son modèle d’hyper-contrôle de l’information et de répression des voix dissidentes, comme en témoigne l’arrestation, en février, de deux citoyens chinois qui avaient décidé de couvrir la crise du coronavirus.
Surtout, la Chine est la plus grande prison du monde pour les journalistes, avec près d’une centaine d’entre eux, dont une grande majorité de Ouïghours, qui croupissent derrière les barreaux.
Armées de trolls
Cette haine idéologique contre l’idée même d’une presse indépendante trouve un relais naturel sur internet, champ de bataille privilégié de la guerre de l’information. Les attaques physiques qui visent les reporters sont souvent accompagnées, voire précédées de menaces proférées en ligne par des armées de trolls et des fermes à clics.
En Asie, ces petits soldats numériques représentent les fers de lance de ce national-populisme décomplexé, qui se nourrit largement de la désinformation et des appels à la haine en ligne.
Dans ce contexte très compliqué, la presse joue un rôle absolument déterminant dans la réussite de l’exercice démocratique. C’est le cas en Indonésie (119e, + 5), où le président Jokowi a toutes les cartes en main pour placer la liberté de la presse au cœur de son second mandat.
Les performances de la Malaisie (101e, + 22) et des Maldives (79e, + 19) confirment le rôle absolument déterminant d’une alternance politique pour permettre une amélioration de l’environnement de travail des journalistes et lutter contre le phénomène de l’autocensure.